Jadisse de Lura & Cortisalia d'Aldenya ♥

Assise sur son grand trône de glace, Cortisalia, jambes croisées, écoutait le vieil homme face à elle qui lui racontait ses malheurs. Même si en règle générale, elle était attentive aux problèmes de son peuple, cette fois ci, elle était fatiguée. Kenichi lui avait promis qu’elle se détendrait, cet après-midi, après avoir écouté quelques plaintes. Mais voilà, comme d’habitude, ces dernières s’éternisaient, et l’ennui prenait le dessus. Corti n’était malheureusement pas toujours concentrée, surtout lorsque venait la fin de ce pénible travail. Elle adorait les Aldenyens, elle leur vouait presque toute sa vie. Mais…Des fois, elle aurait voulu être une adolescente normale. Aller faire des batailles de boules de neige, ou créer une luge de glace et faire la folle avec des amis. L’ennui, c’est qu’elle n’avait aucun ami. Son rôle de Reine ne lui permettait pas.
Droit comme un I derrière elle, Kenichi écoutait également le problème du sexagénaire, tout en surveillant de près sa protégée. Il n’était pas rare que les attaques ennemies arrivent durant ce genre de moments. Il voyait bien que Cortisalia commençait à n’en plus pouvoir, mais il ne pouvait rien faire pour l’aider. Il fallait être patiente, ne pas se décourager, rester calme et attendre la fin. Elle répondait par petits « hum » à l’homme, qui finalement repartit avec gain de cause. Des gardes lui apportèrent la somme qu’il réclamait pour les dégâts causés par ces derniers dans son jardin. Une grosse poignée de glaçons. Il repartit, le sourire aux lèvres. Corti soupira, s’étira. Ca y est. Elle allait pouvoir se détendre. Ah, visiblement non. Un garde arrivait, essoufflé. Lui aussi avait du croire qu’il voyait là son dernier « client » et avait voulu aller en pause. Manque de pot, quelqu’un d’autre était arrivé avant la fin de son service. Les joues rouges, apparemment exténué, il déclara d’une voix forte et distincte, bien qu’entrecoupée par sa respiration saccadée :

▬ Sa Majesté la Reine de Lura souhaiterait s’entretenir avec vous, votre Royale Excellence.

Encore un pompeux de service. Cependant, Corti se redressa sur son trône, les yeux brillants. Jadisse venait lui rendre visite ?! Ô joie ! Depuis combien de temps ne s’étaient-elles pas vu ? Sans doute lorsque la Reine des Neiges était venue s’enquérir de la position de Lura vis-à-vis du peuple d’Aldenya. L’autre Reine entra dans la grande et vaste salle, et son aura semblait rendre une beauté sans pareille au lieu. Certains gardes poussèrent de discrets petits cris de stupéfaction. Et oui. Personne n’avait encore jamais réellement vu, à Aldenya, le visage d’un autre monarque. Corti devait rester digne devant ses gardes, mais elle avait envie d’être tranquille.

▬ Veuillez sortir, Messieurs.

Presque aussitôt, les gardes s’exécutèrent, certains à regret. Seuls restaient dans la pièce Jadisse, Cortisalia et Kenichi. Le Gardien se devait de toujours être derrière sa protégée. D’ailleurs, où était celui de la Reine de Lura ? Avait-elle fait le trajet seule ? Non. C’était bien trop dangereux. Sans doute était-elle accompagnée de sa garde, ou bien son Gardien, attendait-il dehors. En tous les cas, actuellement, il n’y avait personne d’autre qu’elle. Lorsque la salle fut déserte, Corti quitta son trône et son air sérieux, enfilant celui enfantin de la véritable d’Aldenya. Elle se rua sur sa camarade et la prit affectueusement dans ses bras.

▬ Jadisse ! Que me vaux l’honneur de ta présence sur mes terres ?

Elle s’éloigna pour observer son amie, attendant une réponse de sa part. Dans les yeux bleus électriques de la Reine des Neiges, on pouvait lire beaucoup de joie. Mais ce n’était pas du à l’effet agréable qu’avait un Luraien sur une autre personne. Non. C’était simplement parce que son amie avait fait le voyage pour la voir. Peu lui importait, au fond, la véritable raison de sa présence. Elle était là, et ça suffisait amplement à la jeune fille.

Jadisse s'ennuyait à mourir.
La semaine passée, elle avait organisée une énorme fête dans la mer Luratienne pour célébrer la 5e année de paix dans le royaume.
Tout était magnifiquement décoré de guirlandes lumineuses, de grands coeurs de jade qui symbolisait la pureté du pays, de petites serviettes à motifs floral... On avait fait de sublimes peintures sur le sol, et construit un mur où chaque habitant du royaume ou même visiteur pouvait laisser un message de paix. La nourriture avait été colorée par des potions naturelles en rose bonbon, ce qui éclairait l'univers blanc entourant les invités. Le ciel était d'un bleu parfaitement clair, aucun nuage ne venait l'embrumer, et la mer avait été chauffée de façon à ce que la fête se termine en bain de minuit.
En bref, c'était grandiose. Jadisse avait tout organisé elle-même, et malgré le fait que tout ceci l'avait terriblement épuisé, elle s'était amusée comme jamais. De nombreux hommes étaient venus la courtiser, et elle pensait sérieusement à présent à cherche quelqu'un. Elle avait été rassurée et consolée de voir que les garçons osaient l'approcher malgré son statut. Elle avait eu longtemps peur de rester célibataire au vu de son pouvoir. La ville était belle comme elle ne l'avait jamais été depuis des siècles, la vie du peuple de Lura aussi. La reine dansait sans se préoccuper de ses parents, aussi saouls l'un que l'autre. Elle chantait, elle montait sur les tables en cristal installées sur la plage de sable blanc. Elle avait pendant quelques heures arrêté de penser au malheur du monde, à sa famille qui se décomposait peu à peu et à sa solitude. Car même si la jeune reine avait toujours été accompagnée, entourée, aimée, depuis que sa meilleure était partie rendre visite à un ami qui s'était exilé sur une île neutre, elle se retrouvait seule. Elle était en conflit permanent avec ses deux sœurs, et maintenant que la fête était finie, le peuple heureux, elle n'avait plus grand chose à faire de ses journées. Plus rien même. A part se prélasser dans un transat et écouter durant des heures les plaintes des sujets du royaume. Et même ça était impossible car cette semaine de paix signifiait aussi que les habitants arrêtaient des s'embrouiller de piquer les carottes dans le champ du voisin. Elle n'avait donc aucun petit garçon de huit restant qui restait une demi-heure pour lui expliquer qu'un autre enfant de huit lui avait prit sa petite voiture de jade qu'il avait eu pour son récent anniversaire.

Jadisse s'assit sur son lit en soupirant, et s'étendit sur ce dernier comme une étoile de mer. Elle resta allongée quelques instants et eu soudain une idée.
Elle rassembla quelques affaires dans un grand sac en lin spécialement conçu pour pouvoir contenir une grande quantité de vêtement grâce à un sort inventé par Amber, la couturière du royaume, et après s’être habillée en costume traditionnel, elle appela son garde du corps :

- Jake ?

Grâce à un ingénieux système reliant la Jadisse au jeune homme lorsqu’elle ci nécessitait de lui parler, il répondit rapidement et accourut, habillée traditionnellement lui aussi.
Il prépara un carrosse en quelques minutes, et une fois la famille et le peuple prévenu, ils partirent accompagnés d’une dizaine d’autres gardes.
Jadisse avait décidé de rendre visite à une vieille amie. Sa dernière visite dans son palais, dans le royaume d’Aldenya – car c’était chez Cortisalia que la reine se rendait- datait de plusieurs années.
Le voyage fut long et éprouvant. Ils étaient obligés de passer par le royaume de Tenebrae. De nombreux villageois tentèrent d’arrêter la course du cortège, mais la sécurité fit son travail et ils repartirent rapidement. Le cœur de la reine fit quelques bonds lorsqu’elle passa devant la maison qui était celle de sa sœur, mais elle cacha sa tristesse.
Elle arriva finalement le lendemain après-midi, pendant les plaintes d’un vieil homme. Elle patienta dans l’antichambre, et laissant Jake et ses hommes dehors, elle rentra dans la grande salle où se trouvait la Reine Cortisalia. Cette dernière sembla très heureuse de la voir et afficha un sourire ravi. Elle fit sortir ses gardes et sauta directement dans ses bras avant de lui demander de ses nouvelles.

Jadisse la serra très fort - elle était vraiment heureuse d’être là – avant de lui répondre.

- Et bien, je m’ennuyais un peu dans mon pays… Alors je suis venue te voir !

Combien de temps dura l’étreinte des deux reines ? Cortisalia n’aurait su le dire. Jadisse aussi, à mon humble avis. Une chose est sûre, c’est qu’elles restèrent un bon moment, dans les bras l’une de l’autre. Kenichi, en retrait, observait la scène. Comme toujours. Spectateur. Pas acteur. Surtout quand il s’agissait des Rois et Reines. C’était une règle très importante, que jamais le Gardien ne se serait autorisé à transgresser. Finalement, Jadisse mit fin aux accolades. Sa camarade la regardait, une lueur de joie et de malice dans le regard. Il faut dire que les deux souveraines étaient toutes deux de vraies gamines. Toujours de bonne humeur, toujours souriantes, à chasser les idées noires et à facilement s’ennuyer. D’ailleurs, si la Luraienne était là, c’était par pur ennuis. Depuis combien d’années les deux amies ne s’étaient-elles pas vu ? Oh ! Une paire ! Trois, peut être plus ? Corti n’avait plus de notion du temps. Elle savait juste qu’à cette époque ci, tout était beaucoup plus simple. Son père était encore de ce monde, et elle vivait avec insouciance, en étant la jolie petite Princesse que tout le monde adulait. Mais voilà qu’elle se heurtait à la vie difficile de Reine, et aux contraintes qui allaient avec. Car oui, il n’est pas de tout repos d’être une tête couronnée. Si son rôle de Princesse avait autrefois été d’une simplicité enfantine, être à la tête du Royaume s’avérait bien plus exténuant. Parfois, elle avait l’envie de tout plaquer, de devenir une jeune fille comme les autres, mais elle ne le pouvait pas. On ne décide pas d’arrêter. C’est un CDI. Pourquoi indéterminé ? Parce que personne ne connaît votre durée de vie. Et ne pensez même pas aux vacances ! Profiter de quoi que ce soit était impossible.

▬ Toi tu peux voyager au moins, fit remarquer l’adolescente.

Ah oui, parce que même si elle l’avait voulu, Corti n’aurait pas pu, elle. Aldenya était toujours sur le qui-vive. Les Mondorians pouvaient attaquer à tout moment. S’éloigner en de tels moments aurait été impensable. Et puis, de toute manière, Kenichi préférait que sa protégée reste derrière les murs imposants du Palais de Glace. Il la savait en sécurité ici. Non pas qu’elle ne le soit pas ailleurs. Tant qu’il serait près d’elle, rien ne lui arriverait. Mais…Il y avait toujours cette crainte. Cette peur de ne pas être à la hauteur, et de retrouver sa Reine morte. S’il arrivait la moindre chose à Cortisalia, il ne se le pardonnerait pas. D’ailleurs, c’est là que se posait un épineux problème. S’il voulait protéger la demoiselle de sa vie, celle-ci ne voulait pas qu’il meure et était prête à courir tous les risques possibles et imaginables pour lui sauver la sienne. Oui, ils n’allaient pas aller loin, à vouloir se sauver mutuellement. Mais c’était ça d’avoir grandi avec la même personne, non ?

Corti grimaça, désignant du pouce Kenichi.

▬ Il refuse que je sorte.

Le jeune homme s’apprêtait à répliquer, mais y renonça. Et oui, vous n’avez tout de même pas oublié la règle énumérée plus haut ? Spectateur, pas acteur. Il mit donc les poings sur les hanches, fronça les sourcils, et décida d’attendre le départ de la Reine de Lumière pour réprimander sa d’Aldenya adorée. Cette dernière ne se souciait absolument pas de ce qui pourrait se passer plus tard. Tout ce qui importait maintenant, c’était que son amie soit là, qu’elle ait pensé à lui rendre visite. Ca lui faisait très plaisir, et elle avait un mal de chien à le dissimuler. Mais d’ailleurs…Essayait-elle de le dissimuler ? Elle fit un grand sourire à Jadisse. Comme elle était belle, maintenant. Non pas qu’elle ne le fût pas avant. Juste que…Les années l’avaient embelli. Déjà qu’elle était ravissante la dernière fois. Là, elle était tout simplement lumineuse !

▬ Tu es rayonnante Jadisse ! Vieillir te va bien ! La charria gentiment la Miss.

Avait-elle un Roi ? Non. Corti aurait été au courant, et invitée à la Réception. Car oui, dans ce monde, on ne faisait pas de mariage sans réception. Et il fallait toujours que ces dernières soient grandioses, invitant une multitude de personnes. C’était dans ces moments là qu’on pouvait croiser des gens ou d’autres, qu’on n’avait pas forcément l’habitude de croiser. D’Aldenya avait toujours son sourire figé sur ses lèvres. Une éternelle mimique qui ne partirait pas de sitôt !